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Du bulletin de paie au bulletin de vote, les étranges chemins de la simplification

21 octobre 2014

La simplification est à la mode. Le gouvernement est persuadé que cela correspond aux attentes d’une majorité de citoyens (et nous n’avons pas peur de dire, de notre côté, que cela répond effectivement à un besoin). Il est également persuadé que cela ne coûtera rien, en tout cas que cela n’impactera pas le budget de l’Etat. Il est donc naturel que revienne la question de la simplification du bulletin de paie, partie visible de notre système social français.

Mais cette question est ancienne, et toutes les précédentes tentatives sur les 15 dernières années, basées sur la réduction du nombre de lignes, ont échoué. Voici quelques chiffres parlants :

  • En 1947, le bulletin de salaire comportait une ligne en plus du brut et du net, soit en tout 3 lignes ;
  • En 1965, le bulletin de salaire comportait trois lignes en plus du brut et du net, soit en tout 5 lignes ;
  • En 2014, le bulletin de salaire comporte en moyenne trente lignes en plus du brut et du net, soit 33 lignes.

A cela rien d’étonnant, car l’approche de la simplification par la réduction du nombre de lignes est une double erreur.

  • D’une part elle résume de façon simpliste la simplification à « un rangement par le vide » (cf. notre tribune sur la simplification). En d’autres termes, si informer est compliqué, alors on n’informe plus.
  • D’autre part, elle ne traite que de la partie émergée, elle-même résultat de la partie immergée qui, seule, devrait faire l’objet des attentions et modifications.

En effet les spécialistes des questions sociales, au rang desquels les éditeurs de logiciels et les opérateurs, ont depuis longtemps fait savoir que la complexité du bulletin de paie résultait de celle de notre système social (couverture du risque – chômage, maladie, retraite avec un régime primaire et secondaire) et que sans toucher à celui-ci, on risquait d’échouer dans la simplification. Toutefois, sans changer cette complexité originelle qui résulte d’un choix de modèle politique et sociétal, on pouvait, toujours selon ces spécialistes, trouver moyen de rationaliser. Il est acquis aujourd’hui que la multiplicité des modes de calcul des charges sociales et leurs assiettes découle d’un historique et d’un manque de coordination, et non d’une réalité et d’une exigence économique et sociale. Il est donc possible de prendre des mesures, simples dans le principe, mais qui vont se heurter à des habitudes, des décideurs et des zones de compétences multiples. Bref, cela ne va pas être simple.

Un élément neuf explique que les pouvoirs publics commencent à se saisir à nouveau du sujet de la simplification du bulletin de paie. Il ne s’agit pas tant de simplifier le bulletin que d’y faire apparaître les bénéfices, pour l’employé, de décisions politiques récemment prises, tels que le SMIC zéro charge ou le CICE. Il n’est alors plus question de réduire le nombre de lignes, mais d’en ajouter. Ce n’est plus de la simplification, mais du changement ! Cependant, si ce changement concourt à une meilleure compréhension du bulletin de paie ou plus simplement à le rendre utile pour l’employé, on entre dans ce qu’on appelle la lisibilité, ou la simplification en donnant du sens : ce qui se comprend et s’utilise régulièrement est toujours plus simple.

Paradoxalement, il y a une vraie légitimité à ajouter des informations. Les grandes réformes en cours sur la pénibilité, la retraite ou la formation professionnelle vont venir s’ajouter au suivi des indicateurs de congés et de RTT déjà présents sur le bulletin de paie. De sorte que le rôle de ce dernier n’est plus seulement d’expliquer le montant net remis au salarié, mais de lui donner une information globale de sa situation (congés, DIF-CPF, pénibilité acquise, etc.).

Il ressort de cela que la simplification du bulletin de paie peut se résumer à 3 enjeux :

  1. masquer la complexité (réduction des lignes) ;
  2. augmenter la lisibilité et la compréhension pour le salarié (assiettes, présentation par destination) ;
  3. en faire un référentiel (compte épargne-temps, compte formation, compte pénibilité…).

En 2007, la dématérialisation du bulletin avait été autorisée et présentée comme une source d’économie. La suppression de l’impression et de l’envoi postal avait été évaluée à 120 M€ d’économie pour les entreprises. Mais se baser sur un envoi postal systématique, pratique minoritaire, et ne pas calculer l’impact de la conservation du document électronique, faisait de cette estimation gouvernementale une contrevérité. A l’époque, l’Association SDDS avait rappelé que la dématérialisation du bulletin de paie n’avait d’intérêt qu’à condition que celui-ci fasse l’objet de traitement post-émission par le salarié.

Avec ce nouveau sujet de la simplification, nous y sommes peut-être, nous y sommes sans doute. Car le salarié pourrait alors disposer d’un document synthétique mensuel avec, d’une part, un niveau de détail accessible à sa demande, et d’autre 3 part la possibilité de calculer et simuler ses contributions sociales, celles de l’employeur, son évolution salariale dans le temps, de confronter celle-ci à l’évolution du pouvoir d’achat…

Un outil de simplification, sans aucun doute, mais présentant autant d’intérêts que de risques politiques.